vendredi 23 novembre 2012

Recette du temps perdu (marinade traditionnelle japonaise)


Niveau : enfantin
Macération : environ 15 heures
Energie : 0 kcal
Pour : une douzaine de personnes (plat très inconsistant)
Cuisson : sur des charbons ardents

Ingrédients :
-        1 compétition universitaire ;
-        1 grand gymnase de l’université de Tokyo à conserver à température ambiante (fin novembre) ;
-        1 plein jour de vacance exceptionnel, dilué dans un emploi du temps chargé ;
-        1 temps pourri à garder au chaud sous la couette ;
-        1 poignée de sempai expérimentés ;
-        1 gros bouillon d’assistants ;
-        1 soupçon d’exaspération ;
-        1 dose de mauvaise humeur.

Préparation :
1.     Levez-vous vers 6h30. Faites vos exercices quotidiens et prenez un petit déjeuner morose. Emballez votre armure, vos shinaï, et partez prendre le train en oubliant d’emporter un repas de midi.
2.     Rendez-vous à 8h40 à l’arrêt Komaba, près du campus de l’université de Tokyo. Attendez les quelques retardataires au milieu des courants d’air. Faites la queue sous la pluie devant le gymnase pour rentrer un par un. Montez au 4ème. Posez vos affaires. Attendez.
3.     Aidez à accrocher l’étendard de l’université au mur (vous êtes grand). Soyez remercié pour ça. Attendez.
4.     Regardez les sempai de l’équipe 1 se mettre en tenue. Gelez-vous les pieds sur ce putain de parquet glacé. Attendez.
5.     Regardez les sempai de l’équipe 1 mettre leur armure, puis regardez-les s’échauffer pendant que vous sautillez sur place pour avoir l’illusion de sentir les extrémités de vos membres. Attendez.
6.     Vers 10h, rassemblez-vous avec les autres en rang pour la (brève) cérémonie d’ouverture : Bonjour à tous. Bla bla. Ichidô… rei. Bonjour à tous. « Bonjour ! » Discours inaudible d’un sempai de Tokyo. Ichidô… rei. Bonjour à tous. « Bonjour ! » Discours inaudible d’un sempai de Waseda. Ichidô… rei. Bonjour à tous. « Bonjour ! » Discours inaudible d’un sempai de… Attendez qu’on ait fait le tour des 6 universités. Ichidô… rei. Rupture des rangs. Attendez.
7.     10h30 pétante, début de la compétition individuelle. Allez encourager Takano-sempai qui combat. Sautillez sur place. Attendez. Allez encourager Oda-sempai qui combat. Sautillez sur place, battez des bras. Attendez…

8.     Pause de 13 heures. Faites l’aller-retour au combini le plus proche avec Nishiyama-sempai pour occuper votre estomac (ACTION !). Revenez avant 14 heures. Interrompez votre sandwich, la compétition en équipe va bientôt commencer. Rassemblement. Attendez. Explications. Rupture des rangs. Attendez.
9.     Regardez les sempai de l’équipe 1 faire leur second échauffement. Battez des mains, des pieds, des oreilles, enfin, bougez quelque chose quoi. Attendez.
10. Début de la compétition en équipe vers 14h30. Allez encourager l’équipe de l’université. Battez de tout de qui bouge. Attendez. Changez de shiai-jô, acclamez l’équipe de l’université. Asseyez-vous en seiza, en tailleur, puis en seiza encore. Attendez. Continuez à pétrir la pâte jusqu’à ce que mort cérébrale s’ensuive.

11. Réveillez-vous ! (vous piquiez du nez, je vous ai vu !). Il est 18h30 à l’horloge, la compétition en équipe s’achève. Attendez. Rassemblement. Attendez. Discours. Discours, discours. Attendez. Remise des récompenses, équipes de filles, équipe championne, vice-championne, bronze, 3 combattantes par équipe, 3 médailles par équipe. Equipes de garçons, 9 combattants par équipe, neufs médailles autour du cou par équipe, salut aux sempai, saluts aux équipes, salut à l’horloge, salut salut salut. Attendez.
12. Retour dans les rangs. Il faut se dépêcher, on est sur le point de dépasser le temps réglementaire d’occupation du gymnase (comment se fait-ce ?). Attendez. Tout le monde range ses affaires. Attendez on vous dit.
13. Retour à la gare, retour à Meidaimae, retour à la maison, posez l’armure non déballée  dans votre chambre douillette, il est quelque chose comme 19h15

Attendez ! C’est pas fini !

14. Retour au pas de course à Meidaimae, rendez-vous devant l’izakaya à 19h30. Attendez l’arrivée des sempai. Aidez à mettre deux coussins dans un coin et trois assiettes sur une table. Faites-vous indiquer une place. Attendez. Faites-vous indiquer une autre place finalement. Attendez. Revenez à l’entrée avec les autres.
15. Les sempai arrivent au compte-goutte, essayez de vous investir en vous emparant d’un cintre. Attendez. Par désespoir, rendez le cintre à un camarade de 1ère année, qui s’empressera d’y accrocher les effets d’un sempai. Attendez. Mettez-vous à une nouvelle place qu’on vient de vous indiquer après mûre, mûre, mûre réflexion. Attendez. Asseyez-vous. Attendez.
16. Discours d’introduction de beuverie d’un sempai. Beuverie. Buvez un peu, attendez. Des plats arrivent. Attendez. MANGEZ ! Mangez, mangez, mangez (ça occupe). Attendez. Ça bouge, ça parle, ça rigole. Observez, buvez un peu, attendez. Changez de place. Papoter cinq minutes avec un sempai en faisant bien attention à ce que vous dites (ACTION !). Attendez. Reproduisez le motif tout le pourtour de la soirée. Mangez encore un peu pour assaisonner.
17. 21h30, l’heure de quitter les lieux. Attendez. Les sempai se lèvent, ont leur tend leurs effet. Attendez. Ça écluse lentement. Réunissez vos propres affaires en trois mouvements simples et précis. 「忘れ物や落し物を忘れないようにご注意下さい!」. Attendez. Trépignez sur place. Attendez. Sortez dehors d’un pas mesuré (self-control). Attendez. Tout le monde sort en titubant, lentement, lentement, lentement, re-rentre, ressort, va chercher un sempai, revient, retourne, va chercher une écharpe oubliée (忘れ物を忘れないように…), remet ses chaussures, se rassemble plus ou moins en groupes vaguement organisés dans la rue…
18. On remet ça pour la seconde partie de la soirée dans un autre endroit ! Vous venez ? Vous déclinez l’invitation, vous êtes vraiment confus, vous travaillez le lendemain (oui, vous donnez de modestes leçon de français tôt le samedi matin à Shibuya), vous vous confondez en excuses, kaesasete-itadakimasu, vous recevez littéralement la faveur qu’on vous laisse ENFIN rentrez chez vous, et vous vous carapatez avec un dernier signe d’adieux amical. Omote, ura, vous êtes tout retourné, sans dessus-dessous.
19. Il est 22 heures, et vous avez passé une merveilleuse journée.



Croyez-moi, un plat comme ça, ça vous tient au ventre. Vous le remâchez ensuite pendant des semaines, et on vous en resservira à volonté, jusqu’à l’écœurement.

Bonne dégustation !