dimanche 3 mars 2013

初段審査 (Passage de 1er dan)

Ce dimanche, c'était le jour de mon passage de 1er dan de iaidô, au Tokyo Budôkan.

J'ai passé le week-end en stage spécial, sous la direction d'Itô-sensei, avec une brochette de Hongkongais venus spécialement pour l'occasion s'entraîner au Kodôkan et au Shûdôkan. On a passé 5 heures le vendredi et 3 heures le samedi matin à répéter inlassablement les cinq même kata, qui étaient "fortement pressentis" pour les passages respectifs des premier, deuxième et troisième dan du dimanche. C'est-à-dire en d'autres termes qu'Itô-sensei savait à l'avance ce qui allait tomber, ce qui nous a permis de faire un travail spécifique (il faut s'entraîner avec des huitième-dan hanshi avant les passages de grade, c'est très recommandé...).

Itô-sensei a été particulièrement strict et exigent pendant ces entraînement, et il ne nous a pas ménagé. On a vraiment travaillé en profondeur et dans le détail, en corrigeant point par point tous nos défauts. Dans mon cas, j'ai été doublement sollicité, car j'étais la seule personne présente maîtrisant suffisamment et l'anglais et le japonais pour faire le lien entre les directives autoritaires d'Itô-sensei et les questions hésitantes des Hongkongais. Ça m'a demandé pas mal de concentration d'être présent à la fois dans mes kata... et dans ceux des autres, toujours une oreille sur les explications, et un bout de cerveau en processeur de traduction en temps réel, dans deux langues qui ne sont pas mes langues maternelles. Un bel exercice. Je me demande un peu comment ils auraient fait si je n'avais pas été à l'entraînement, car ils ne parlaient vraiment pas plus de trois mots de japonais, nos amis d'outre-mer. C'est un peu inconscient ça, de se confronter à Itô-sensei sans comprendre ce qu'il raconte. On peut vite se faire engueuler vertement sans trop savoir pourquoi...

Le plus drôle, c'est qu'au début je n'avais pas compris qu'ils étaient Hongkongais et qu'ils ne parlaient pas la langue. Moi je vois des bridés au Japon, je me dis "tiens, des Japonais" (les asiatiques, eux, font généralement tout de suite la différence. Moi pas). Bon, à réflexion ils avaient pas des têtes de Japonais, c'est vrai ; mais à rencontrer des gens comme ça dans un petit dôjô perdu au milieu de Nakano, en groupe de quatre avec des sabres, on ne se dit pas immédiatement : "tiens, des Hongkongais qui ne parlent pas la langue". Du coup, la première fois qu'Itô-sensei, après une explication, se tourne vers moi et me dis abruptement "Rôshu, dis-leur !", je l'ai regardé sans rien dire pendant deux-trois seconde avec un air de poisson mort, en me répétant intérieurement "Il se f*** de moi ou bien ?". Je croyais sincèrement qu'il plaisantait. Quand il a vu que je restais fermement silencieux (savais pas trop sur quel pied danser), il a dit "Ah, laisse tomber" avec son air agacé, et il a continué.
Après, longtemps après, quand un Hongkongais tout poli est venu me dire "euh, tu pourrais traduire de temps en temps ce qu'il dit, parce que nous on comprend pas bien", là j'ai finalement saisi un peu mieux la situation (je suis un peu lent à saisir les situations, vous savez). Et là je repense soudainement à Yagyû Munenori, mon fétiche, et à son 活人剣 (katsu-nin-ken), ma Bible, dans l'introduction duquel il dit : "Saisir le potentiel d'une situation, tel est l'art de la guerre ! [...] L'observation attentive de la dynamique d'une situation, fût-ce au sein d'un groupe, relève aussi de l'art de la guerre. Si vous ne saisissez pas sur-le-champ la dynamique d'une situation, en vous attardant en milieu hostile, vous risquez de vous retrouver en mauvaise posture. [...] Il faut percevoir la dynamique d'une situation, et savoir mesurer l'état d'esprit des gens qui composent un groupe."
Cho la honte.

Vient le grand jour. J'étais le seul à présenter le 初段 (premier dan), et ma série était dans l'ordre :
1. 一本目・前 [Ippomme - Mae (1er kata, devant)]
2. 二本目・後 [Nihomme - Ushiro (2ème kata, derrière)]
3. 五本目・袈裟切り [Gohomme - Kesa-giri (5ème kata, coupe de la veste de moine)]
4. 六本目・諸手突き [Roppomme - Morote-zuki (6ème kata, estoc à deux mains)]
5. 七本目・三方切り [Nanhomme - Sampô-giri (7ème kata, coupe dans trois directions)]
J'étais relativement confiant, tout le monde au Shûdôkan me disait que si je ne faisait pas d'erreur dans les kata, je devrais l'avoir. Itô-sensei m'a même dit de vive voix "T'as fait des progrès toi, ces derniers temps". Alors pour en arriver là, c'est qu'il devait y avoir un fond de vrai. La réalité, c'est que malgré tout ça, une fois sur le parquet en face des cinq juges, je n'en menais vraiment pas large. Question gestion du stresse, je suis vraiment une bille. Du coup, j'ai même réussi à faire une faute de débutant sur le premier kata (bien relever les orteils au moment où l'on se redresse, pour pouvoir avancer après ; les connaisseurs apprécieront la grandeur de ma bêtise). Mais enfin, bon an mal an, avec la force de l'habitude, on a fait une prestation suffisante pour décrocher ce premier dan, avec les honneurs semble-t-il. J'ai même été félicité par un des chefs de la police (Hata-sensei), qui était là pour encadrer ses propres élèves (deux policiers d'une trentaine d'année qui passaient leur troisième dan). C'est un ami d'Itô-sensei et d'Onikubo-sensei, qui travaillent eux aussi à la police de Tokyo (la police de Tokyo, c'est un peu le sanctuaire des arts martiaux nippons contemporains, pour ceux qui l'ignorent).
Donc tout s'est bien passé, et même mieux, car j'ai fait là-bas la rencontre de deux étrangers, respectivement Hollandais (Ivo) et Colombien (Esteban), qui étudient actuellement à 国際武道大学 (kokusai budô daigaku), soit l'université internationale des arts martiaux, du côté de Chiba (banlieue "large" de Tokyo). Si je les ai abordé, c'est parce qu'Ivo passait en fait juste devant moi (première vague, pas le temps de stresser !), et que j'ai été franchement scié par son niveau en le voyant. Je suis donc allé le féliciter après le passage, et c'est là que j'ai compris...
Il m'a dit "Tu fais quoi toi" (sous-entendu en dehors du iaido), alors je lui réponds "Je fais du kendô ; et toi ?".
- Moi je fais aussi du kendô, et puis de la naginata, du kyûdô et de l'aikidô..."
- ... Ah, bon..."

On se sent petit, tout à coup.
Enfin, notez bien, c'est pas une question de volume horaire, hein, mais enfin vu son niveau de iaidô style "gros bourrin puissance 10" après un an seulement de pratique, je me suis subitement senti très très modeste.
Il fait partie de l'équipe officielle de l’université, cela va sans dire...
On a échangé nos mails aussi, vous vous doutez bien (non, non, je ne suis pas intéressé... juste affreusement jaloux !).

A mentionner également, le monde du budô est décidément petit, très petit, même à Tokyo, car j'ai également revu notre camarade Jérémy, qui s'entraînait à Lyon l'année dernière avant de partir faire son doctorat à Tôdai. Il a également reçu son premier dan à l'occasion !

Pour finir, je n'ai malheureusement pas pu filmer ou faire filmer sur place, alors j'ai fais la vidéo "en studio" dans un local du gymnase de Meiji, pour que vous puissiez quand même un peu juger un peu de mes progrès (le stress en moins), sur les cinq kata concernés :




Et en vidéo-bonus, 総切り [sô-giri], parce qu'il est rigolo et que je l'ai travaillé récemment aussi :




De retour au dôjô, le lundi suivant, Itô-sensei m'a invité à faire le traditionnel speech devant les autres membres, en me demandant avec son sourire de vieux renard : "Alors, tu l'as eu ton troisième dan ?"
Je vous ai dit que je l'aimais bien ?