Ce soir, j'ai été invité par Onikubo-sensei (iaidô 6ème dan, kendô 4ème dan) à assister avec lui à une leçon privée d'un certain Nakahara-sensei sur l'expertise des lames de sabres japonais au Akiba-jinja, près de Kagurazaka. C'était extrêmement intéressant, bien qu'évidement je n'ai fait pour cette première fois que toucher du doigt (presque littéralement) les concepts les plus superficiels des fondamentaux de base de l'expertise de sabres anciens. Mais le détour en valait la chandelle, et permettait notamment de comprendre un peu mieux pourquoi on attache une telle importance au sabre dans la culture traditionnelle japonaise : bien que nous associons en occident le travail de forge à de l'artisanat, et non à de l'art, il s'agissait bien au Japon d'un art, et même d'un art sacré (comprenez : consacré aux dieux) depuis au moins l'ère Muromachi [1336] (et a priori bien avant).
S'il est vrai qu'on ne va pas jusqu'à s'incliner devant la Joconde avant de la contempler, on lui voue tout de même un certain respect. Les lames de sabres anciens au Japon possèdent la même aura, sauf qu'elles sont de surcroît habitées par une âme à caractère divin (le Shintô, plus ancienne religion au Japon, est un animisme). On peut comparer cette idée au mythe d'Excalibur, si ce n'est qu'au Japon, il ne s'agit pas (seulement) de mythe (bien qu'il y en ait aussi), et chaque lame de maître jouit d'une telle aura.
Difficile pour nous de concevoir qu'on attache la même importance à une simple lame d'acier forgée, polie et affûtée qu'à une fresque de Michel-Ange, avec toutes ses couleurs et tous ses traits. Et pourtant...
La leçon se déroule comme suit : la première moitié, de 19h à 20h, est consacrée à l'étude individuelle de cinq échantillons de lames. Elles sont présentées et observées selon le rituel de révérence dû aux lames anciennes, et les élèves doivent les identifier (époque, lieu de création, nom du maître artisan), selon une série de critères (parmi lesquels je peux ne peux citer à mon niveau que la forme, la taille, l'épaisseur et la courbe de la lame, la présence de shinogi et sa configuration, le type de yokote, et bien entendu le dessin de la trempe [焼き出し]). Les réponses (ou suggestions) des élèves sont écrites sur des petits papiers présentés au maître, qui indique si c'est "juste", "pas loin" ou "carrément pas ça du tout". Moi j'étais juste en observateur, et mes connaissances sont très limités en la matière, donc je me suis contenté de remplir pour chaque lame les renseignements suivants (après quelques brèves explications de base) :
- Type de fabrication (Hon-dzukuri - Hira-dzukuri - Shôbu-dzukuri) ;
- Type de lame (Katana - Wakizashi - Tantô) ;
- Longueur de lame (à estimer à l'oeil, en shaku [30,3 cm] et en sun [3 cm]) ;
- Courbure de la lame (à estimer à l'oeil en bun [3 mm]) ;
- Estimation de l'âge (Vieux - Récent - Très récent, qui correspondent en réalité respectivement à antérieur à 1596 - de 1596 à 1764 - de 1764 à 1876 [NB : date de l'interdiction du port du sabre pour les samouraï]).
C'était déjà pas mal pour une première approche.
La seconde moitié, de 20 à 21h, consiste en une explication détaillée pour chacune des lames présentées, avec le nom du fabricant, sa filiation, et une tripotée de remarques très précises dont je n'ai pas pu saisir grand chose. Mais j'ai fait de mon mieux. Il y a évidemment un sacré paquet de vocabulaire très spécifique que je ne maîtrise pas du tout, même si j'ai quelques bases.
Dans tous les cas, c'était très instructif, et là encore, il y a un monde entier à découvrir.